EreV Tisha b’Av le Chabbat

Normalement, le dernier repas mangé avant le jeûne de Tish ‘b’Av est censé être un repas de rechange mangé dans la solitude, car le deuil de Tish’a b’Av commence déjà la veille. (En fait, les coutumes de deuil commencent déjà trois semaines plus tôt, puis s’intensifient à partir du mois d’Av, puis de la semaine au cours de laquelle tombe Tish’a b’Av.)

Cependant, lorsque la veille du jeûne est le Chabbat, nous ne limitons pas du tout notre dernier repas. Le Choul’han Aroukh (OC 552:10), suivant la guemara (Taanit 29b), utilise une expression intéressante: « Il peut mettre la table même comme le repas de Shlomo au temps de sa royauté ».

La référence au roi Shlomo est compréhensible; le livre de Melakhim (I 5, 2-3) décrit la grande opulence de la table de Shlomo. Mais qu’ajoute l’expression « au temps de sa royauté »?

Rachi nous renvoie à un passage talmudique relatant que Shlomo a en fait été destitué de son règne pendant un certain temps par le chef des démons, Ashmedai. Pendant cette période, indique la guemara, Shlomo a été réduit à mendier de porte en porte jusqu’à ce que le Sanhédrin ait appris la situation et aide à restaurer Shlomo sur son trône. (Gittin 68b.)

Cependant, cette réponse n’est encore que partielle. Certes, nous ne penserions pas que l’expression de manger « comme le repas de Shlomo » ferait référence à la période où il était un pauvre mendiant! Que laisse alors entendre la référence oblique à cette période?

Une compréhension possible est donnée par le commentaire du Maharal (Chidushei Aggadot sur Gittin). Le Maharal explique que la « déposition » de Shlomo se réfère en fait à une rupture drastique de son caractère. Le caractère de Shlomo a été réduit de la hauteur de la noblesse et de la sainteté aux profondeurs de la dissolution, jusqu’à ce qu’il ne soit pas plus noble qu’un oursin de rue.

Pendant cette période, la consommation matérielle de la maison royale n’a pas été modifiée, mais la nature de la consommation l’a été. Au lieu du luxe royal, les plaisirs du roi étaient réduits à l’indulgence bestiale (comme on le voit dans le passage de Gittin). Son appréciation de la splendeur royale n’était pas plus grande que celle d’un mendiant dépravé.

Cela nous donne deux manières complémentaires de comprendre la légitimité de manger « même comme le repas de Shlomo au moment de sa royauté ».

1. Nous pourrions penser que nous sommes effectivement autorisés à manger un repas somptueux l’après-midi de Shabbat, afin d’éviter une conduite publique de deuil à ce moment-là. Mais selon de nombreuses opinions, nous devons encore mener un certain deuil privé, tout comme un deuil ordinaire le Chabbat observe les restrictions qui sont privées. (Voir fin Rema de l’OC 553.) Nous pourrions penser que nous pouvons manger un grand repas, mais sans le port royal ordinaire digne de la reine du Shabbat et l’âme supplémentaire qui l’accompagne. À l’intérieur, nous commençons déjà à ressentir la piqûre et la dégradation de la destruction du Temple. Ainsi, la guemara nous dit que nous pouvons manger même comme le repas de Shlomo au moment de sa royauté – à la hauteur de son caractère et de sa capacité à apprécier l’opulence royale.

2. Peut-être au contraire que la guemara nous dit que nous pouvons effectivement nous faire plaisir à la veille de Tish’a b’Av puisqu’il tombe le Chabbat, mais nous devons faire très attention à ce que notre indulgence soit du caractère élevé et royal qui convient au saint jour du Sabbat. Si notre repas est un simple assouvissement d’appétits de base comme celui de Shlomo lorsqu’il a été « déposé » de la royauté – c’est–à-dire, selon le Maharal, lorsqu’il a perdu toute sa charge et son élévation royales – il serait préférable de manger avec modération en prévision de la période imminente de deuil national.

La jouissance du Chabbat, lorsque nous nous rappelons qu’en fin de compte le monde sera perfectionné et que notre tâche principale sera d’assimiler la divine bienfaisance, remplace en effet le deuil de Tish’a b’Av et la veille de Tish’a b’Av. Mais ce n’est digne de le faire que lorsque cette jouissance est d’un niveau raffiné et élevé qui nous rapproche vraiment de l’appréhension de la bonté de Dieu et de la perfectibilité ultime du monde.