L’île – Vie de Pi
L’épreuve de Pi en mer culmine avec ce qui est de loin le passage le plus bizarre du roman, bien qu’il réconcilie les trois thèmes majeurs. Quand il est presque mort de faim, Pi se produit sur une île. L’île, cependant, est loin d’être ordinaire. C’est une masse de végétation gigantesque, une algue qui pousse sans terre, avec des arbres qui poussent à partir des algues. Dans la masse d’algues se trouvent de profondes mares d’eau douce. Il n’y a aucune vie animale sur l’île à une exception flagrante: elle est envahie de suricates.
Pi constate que l’algue est comestible, avec une couche externe sucrée et un noyau interne salé. Il découvre que les algues dessalinisent l’eau de mer dans les piscines. Il découvre également qu’en raison d’une absence totale de prédateurs, les suricates ne craignent rien, même si Richard Parker défile à travers eux en dévorant tout ce qu’il peut atteindre. Pi découvre en outre que la nuit, les mares deviennent acides et attirent des poissons de la mer qui y meurent. Les suricates mangent les restes lorsque les piscines deviennent fraîches à la lumière du jour.
Pi passe des semaines sur l’île à récupérer. Il se nourrit d’algues, savourant le luxe d’être à nouveau végétarien. Lui et Richard Parker retournent à la santé simultanément et Pi effectue des tâches qui sont un gaspillage d’énergie inouï quand on n’a pas une abondance de ressources, comme purger le bateau de sauvetage de la saleté accumulée du voyage. Pi et Richard Parker retournent tous les deux au bateau amarré pour dormir, mais après un certain temps, Pi s’aventure dans les arbres la nuit.
Des images allégoriques immédiates du jardin d’Eden sont réalisées alors que Pi constate que chaque arbre de l’île est stérile, à l’exception d’un énorme arbre au centre. Tout comme ses homologues de la Genèse, la connaissance que Pi acquiert de cet arbre l’expulse du paradis qu’il a trouvé. Pi découvre que ce qu’il voit sur l’arbre n’est pas un fruit mais des boules compactes de feuilles. En épluchant les feuilles couche par couche, il découvre qu’au centre de chaque boule se trouve une seule dent humaine. Il y a exactement 32 de ces « fruits » sur l’arbre. Un ensemble humain complet. Pi déclare que « ce n’est que dans les films que l’horreur est vocale. »Il ne crie pas. Il quitte simplement l’arbre.
Pi découvre que l’île est carnivore. Il découvre que la nuit, les algues lessivent un acide mortel qui tue les poissons dans les piscines où ils sont dissous et ingérés par les plantes. Les suricates prennent ainsi la nuit dans les arbres, des arbres qui eux aussi sont carnivores, mais assez lentement, assez lentement pour ne pas ingérer quelque chose encore vivant, seulement les morts. Pi se rend compte que les dents représentent un autre naufragé qui a trouvé le même repos sur l’île. Pi se rend compte que ce naufragé a dû mourir dans l’arbre et il se demande combien de temps il faut, « pour qu’un esprit brisé tue un corps qui a de la nourriture, de l’eau et un abri? »Pi se résout à partir, à retourner à la mer et à « périr à la recherche de mon espèce pour vivre une demi-vie solitaire de confort physique et de mort spirituelle sur cette île meurtrière. »
Ce passage revisite d’une manière ou d’une autre tous les thèmes majeurs des romans. À bien des égards, Pi est comme un animal de zoo en son temps sur l’île: tous ses besoins de base sont satisfaits et il trouve donc contentement et sécurité et finit par tomber dans la complaisance. Beaucoup plus tôt dans le roman, Pi a déclaré qu’avec la satisfaction des besoins de base, un animal sauvage en captivité se comporterait comme un propriétaire terrien satisfait. Bien qu’il dise aussi que les humains sont plus exigeants que les animaux, plus complexes. Pi raconte donc une vie sur l’île comme une « demi-vie de confort physique et de mort spirituelle. »Il est impropre à l’homme, alors peut-être que les zoos sont impropres à la bête? Le roman ne répond pas spécifiquement à cette question, car peu de choses sont spécifiquement répondues dans l’histoire de Pi. Ce qui est clair, c’est que Pi voit que cette île de repos va tuer son esprit. Bien que Pi prie en mer, il devient lentement plus animal à mesure que sa situation devient plus désastreuse. Il marque et défend son territoire ; il mange chaque repas avec une vigueur qui laisse penser que ce pourrait être son dernier; il est insécurisé, nerveux, anxieux, autant de signes révélateurs d’un animal dans un environnement inadapté. L’humanité de Pi réapparaît sur l’île. Il est humain de rechercher l’accomplissement spirituel, mais seulement après que les besoins physiques sont satisfaits. L’île répond à tous les besoins physiques de Pi, mais elle ne fait rien pour son âme. Il rompt tous les liens de la raison animale et s’en va.