Se souvenir du raid de Dieppe condamné par la Seconde Guerre mondiale, 75 ans sur la plage de Dieppe

. Sous un ciel bleu clair, les touristes déploient leurs serviettes. Certains vont faire un plongeon sans soucis, tandis que d’autres bronzent allègrement, se prélassant dans l’insouciance des vacances d’été françaises. Mais peu de gens savent ce qui s’est passé ici il y a 75 ans sur cette étendue de pierres polies.

En août 1942, l’ambiance était tout autre. Des cris ont retenti sur la plage. La puanteur du sang et de la poudre à canon s’échappait du rivage. Une couverture de corps par centaines gisait sur les rochers. Le raid de Dieppe – également connu sous le nom d’opération Jubilee – fait rage à partir de ce matin-là. La Seconde Guerre mondiale déchirant l’Europe, en particulier sur le front de l’Est, les Alliés cherchèrent à lancer une attaque qui testerait les défenses allemandes sur le flanc ouest.

Plus de 6 000 hommes, dont 5 000 Canadiens, débarquèrent à Dieppe et sur quatre plages adjacentes dans le but de détruire les défenses côtières allemandes ainsi que certaines infrastructures stratégiques.

 » En France, c’est une histoire peu connue. L’accent a toujours été mis sur le débarquement de Normandie du 6 juin (1944), mais cet événement a été important pendant le conflit « , explique Marcel Diologent, vice-président de l’Association Jubilee, qui cherche à documenter l’histoire de l’opération.

SUR LES TRACES DU RAID DE DIEPPE
 La plage où débarquèrent les soldats alliés le 19 août 1942. Aujourd'hui, les touristes insouciants marchent le long des cailloux.
La plage où débarquèrent les soldats alliés le 19 août 1942. Aujourd’hui, les touristes insouciants marchent le long des cailloux.
 Le long de la plage, de nombreux monuments rendent hommage aux soldats qui ont participé au raid. Ce mémorial est dédié aux 553 membres de l'Essex Scottish Regiment.
Le long de la plage, de nombreux monuments rendent hommage aux soldats qui ont participé au raid. Ce mémorial est dédié aux 553 membres de l’Essex Scottish Regiment.
 La vue sur la plage de Dieppe depuis le large donne une idée de la difficulté de débarquer au port, qui était très bien défendu à l'époque.
La vue sur la plage de Dieppe depuis le large donne une idée de la difficulté de débarquer au port, qui était très bien défendu à l’époque.
 Plusieurs centaines de soldats alliés visaient également à débarquer sur la petite plage des Puys. Contre les falaises, les soldats du Royal Regiment et du Black Watch of Canada ne trouvèrent aucun point de débarquement. Ils ont été massacrés.
Plusieurs centaines de soldats alliés visaient également à débarquer sur la petite plage des Puys. Contre les falaises, les soldats du Royal Regiment et du Black Watch of Canada ne trouvèrent aucun point de débarquement. Ils ont été massacrés.
 Au centre-ville de Dieppe, le monument commémoratif du 19 août 1942 rend hommage à tous les soldats. Il a été installé dans l'ancien Théâtre municipal, près du front de mer.
Au centre-ville de Dieppe, le mémorial du 19 août 1942 rend hommage à tous les soldats. Il a été installé dans l’ancien Théâtre municipal, près du front de mer.
 Des portraits de survivants du raid, qui sont retournés à Dieppe pour des commémorations, sont exposés. Aujourd'hui, 200 participants du raid sont toujours en vie au Canada, selon les chiffres de l'ambassade du Canada à Paris.
Des portraits de survivants du raid, revenus à Dieppe pour les commémorations, sont exposés. Aujourd’hui, 200 participants du raid sont toujours en vie au Canada, selon les chiffres de l’ambassade du Canada à Paris.
 Le mémorial du 19 août 1942 comprend de nombreux objets personnels, comme ce chapelet ayant appartenu à un soldat allié fait prisonnier par les Allemands.
Le mémorial du 19 août 1942 comprend de nombreux objets personnels, comme ce chapelet ayant appartenu à un soldat allié fait prisonnier par les Allemands.
 Pendant le raid, le soldat canadien Edwin Bennett a été grièvement blessé. Une religieuse s'est occupée de lui. Quarante ans plus tard, il reconnaît sœur Agnès-Marie Valois par sa voix lors des commémorations. Aujourd'hui, elle a 103 ans.
Pendant le raid, le soldat canadien Edwin Bennett a été grièvement blessé. Une religieuse s’est occupée de lui. Quarante ans plus tard, il reconnaît sœur Agnès-Marie Valois par sa voix lors des commémorations. Aujourd’hui, elle a 103 ans.
 À l'entrée du mémorial, sont inscrits tous les noms des soldats qui ont perdu la vie le 19 août 1942, ainsi que ceux des victimes civiles de Dieppe.
À l’entrée du mémorial, sont inscrits tous les noms des soldats qui ont perdu la vie le 19 août 1942, ainsi que ceux des victimes civiles de Dieppe.
 Le raid de Dieppe est également à l'honneur sur la Place du Canada le long de l'esplanade. L'histoire du Canada est liée à celle de Dieppe depuis 50 ans. Au 16e siècle, des explorateurs de Dieppe ont contribué à la découverte du Canada.
Le raid de Dieppe est également à l’honneur sur la Place du Canada le long de l’esplanade. L’histoire du Canada est liée à celle de Dieppe depuis 50 ans. Au 16e siècle, des explorateurs de Dieppe ont contribué à la découverte du Canada.
 Au centre-ville, d'autres monuments rappellent l'histoire du 19 août 1942, comme celui-ci près de l'église Saint-Rémy où deux soldats canadiens ont été tués.
Au centre-ville, d’autres monuments rappellent l’histoire du 19 août 1942, comme celui-ci près de l’église Saint-Rémy où deux soldats canadiens ont été tués.
 Après le raid, l'armée allemande a enterré les soldats canadiens dans le cimetière de guerre canadien de Dieppe, créé en 1939 pour les tombes des soldats morts à l'hôpital.
Après le raid, l’armée allemande a enterré les soldats canadiens dans le cimetière de guerre canadien de Dieppe, créé en 1939 pour les tombes des soldats morts à l’hôpital.
 Le cimetière contient 948 tombes, dont 600 datent de 1942. Il y a aussi quatre paires de frères.
Le cimetière contient 948 tombes, dont 600 datent de 1942. Il y a aussi quatre paires de frères.
 Les soldats canadiens sont les plus nombreux mais il y a aussi quatre soldats français, dont le pilote de l'armée de l'air Emile Fayolle, décédé lors de l'écrasement de son avion le 19 août 1942.
Les soldats canadiens sont les plus nombreux mais il y a aussi quatre soldats français, dont le pilote de l’armée de l’air Emile Fayolle, décédé lors de l’écrasement de son avion le 19 août 1942.
 Les épitaphes sur les pierres tombales des soldats canadiens sont extrêmement émouvantes. Ceux des soldats originaires du Québec et d'autres endroits francophones sont écrits en français.
Les épitaphes sur les pierres tombales des soldats canadiens sont extrêmement émouvantes. Ceux des soldats originaires du Québec et d’autres endroits francophones sont écrits en français.

Depuis plus de 30 ans, ce groupe de passionnés s’efforce de perpétuer le souvenir du Raid de Dieppe. En 2002, dans un ancien théâtre près du front de mer, ils ont créé un mémorial à l’événement qui rassemble des documents, des uniformes et d’autres objets commémoratifs. Des portraits d’hommes ayant participé à l’attaque tapissent les murs.

 » Beaucoup n’avaient que 17 ans. Il était naturel que nous leur rendions un hommage durable puisqu’ils se sont engagés volontairement pour notre liberté « , explique Martine Pietrois, présidente de l’association.

Robert Boulanger, un adolescent de la province de Québec, faisait partie de ces jeunes soldats. Il venait d’avoir 18 ans. Le matin du 10 août, il a écrit quelques mots à ses parents. Sa lettre est exposée au mémorial :  » On nous dit que nous sommes très près des côtes françaises. Je le crois parce que nous entendons la canonnade et les explosions, même les obus qui sifflent au-dessus de nos têtes. Enfin, je me rends compte que nous ne sommes plus dans l’exercice. Un bateau d’assaut juste à côté du nôtre vient d’être touché et a sombré avec tous ceux qui étaient à bord. Nous n’avons pas eu le temps de voir grand-chose car en l’espace d’une ou deux minutes, il ne restait plus rien. Oh mon Dieu, protégez-vous d’un tel destin! »

Ce sont les derniers mots de Boulanger. Une balle lui a traversé le front. Il n’avait même pas mis les pieds sur la plage. En l’espace de quelques heures, 1 000 hommes ont perdu la vie tandis que 3 000 ont été capturés et détenus prisonniers jusqu’à la fin de la guerre. L’opération a été un échec total.

« Ce fut vraiment une tragédie », dit Diologent.  » Tout l’empêchait de réussir. Il y avait vraiment un manque évident de préparation. »

‘Les objectifs étaient trop audacieux’

L’historien Olivier Richard, auteur de plusieurs ouvrages sur l’opération Jubilé, partage cet avis.  » Ce raid avait des objectifs beaucoup trop audacieux « , dit-il. « L’opération a également été modifiée à plusieurs reprises. Au début, il portait le nom de « Rutter ». Cela aurait dû avoir lieu en juillet mais les avions allemands ont repéré la flotte. Ce qui est étonnant, c’est qu’il a été réanimé un mois plus tard. »

L’élément de surprise a donc été perdu. Le soutien naval s’est avéré insuffisant, tandis que le soutien aérien luttait contre l’aviation allemande. Dans le ciel, l’une des plus grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale se déroulait. Sur le terrain, les canons et les chars ont eu du mal à avancer sur la plage. Les chenilles des chars ont été endommagées par des cailloux et se sont retrouvées piégées par des barrières en béton. Sur certaines plages, le rivage était particulièrement escarpé. Enfin, la communication entre les troupes et l’état-major était désastreuse. Les derniers combattants qui n’ont pas pu être évacués ont fini par se rendre. Peu avant 14h, les armes se sont tues.

LE RAID DE DIEPPE: PHOTOS DES ARCHIVES
 Barrières en béton, clôtures en barbelés et autres obstacles indiquent à quel point les Allemands avaient fortifié la plage de Dieppe.
Des barrières en béton, des clôtures en barbelés et d’autres obstacles indiquent à quel point les Allemands avaient fortifié la plage de Dieppe.
 Des jeunes hommes regardent les navires de guerre partir pour Dieppe le 19 août 1942. Au total, huit destroyers de la Royal Navy ont participé au raid.
Des jeunes hommes regardent les navires de guerre partir pour Dieppe le 19 août 1942. Au total, huit destroyers de la Royal Navy ont participé au raid.
 Les troupes du régiment du Queen's Own Cameron of Highlanders of Canada débarquent à Dieppe. L'opération a mobilisé plus de 6 000 hommes.
Des troupes du régiment du Queen’s Own Cameron of Highlanders of Canada débarquent à Dieppe. L’opération a mobilisé plus de 6 000 hommes.
 La plage de Dieppe s'est transformée en scène de carnage après le raid. Sur 6 000 soldats, environ 1 000 hommes sont massacrés en quelques heures.
La plage de Dieppe s’est transformée en scène de carnage après le raid. Sur 6 000 soldats, environ 1 000 hommes sont massacrés en quelques heures.
 Les chars alliés sont incapables d'avancer beaucoup plus loin que la plage de Dieppe. Les détritus des chars et des navires de débarquement témoignent de l'échec du raid.
Les chars alliés n’ont pas pu avancer beaucoup plus loin que la plage de Dieppe. Les détritus des chars et des navires de débarquement témoignent de l’échec du raid.
 Après le raid, les soldats allemands ont pris de nombreuses photos. Dans celui-ci, ils inspectent un char canadien endommagé à Dieppe.
Après le raid, les soldats allemands ont pris de nombreuses photos. Dans celui-ci, ils inspectent un char canadien endommagé à Dieppe.
 Les Allemands ont également photographié certains des 3 000 soldats alliés qu'ils ont faits prisonniers.
Les Allemands ont également photographié certains des 3 000 soldats alliés qu’ils ont faits prisonniers.
 Pour ceux qui ont eu la chance de réembarquer, le retour en Grande-Bretagne a été difficile. Les soldats semblent fatigués mais soulagés après avoir survécu au raid de Dieppe.
Pour ceux qui ont eu la chance de réembarquer, le retour en Grande-Bretagne a été difficile. Les soldats semblent fatigués mais soulagés après avoir survécu au raid de Dieppe.
 Des centaines de soldats ont été blessés dans le raid et certains d'entre eux ont été évacués vers la Grande-Bretagne.
Des centaines de soldats ont été blessés dans le raid et certains d’entre eux ont été évacués vers la Grande-Bretagne.
 Dans un pamphlet déposé dans les rues de Dieppe pendant le raid, les soldats promettent de revenir et de libérer la ville. Ils ont tenu leur promesse. Les soldats canadiens ont libéré Dieppe en 1944 et ont marché dans la ville, sous les yeux d'une foule admirative.
Dans un pamphlet déposé dans les rues de Dieppe pendant le raid, les soldats promettent de revenir et de libérer la ville. Ils ont tenu leur promesse. Les soldats canadiens ont libéré Dieppe en 1944 et ont marché dans la ville, sous les yeux d’une foule admirative.

Le lendemain du raid, les responsables de l’opération ont affirmé que – grâce à Jubilee – de grandes leçons pouvaient être tirées pour le reste du conflit. Pour certains, c’est à cause de ce jour d’août 1942 que le V Day a été rendu possible le 6 juin 1944. Cette version des faits a conduit le haut commandement à être disculpé et les erreurs qui avaient été commises ont été masquées.

« En effet, des leçons ont été tirées de cette journée, comme l’idée de ne pas faire courir les gens sur les plages de galets ou de sortir de l’eau », a déclaré Richard.  » Mais est-ce une conséquence directe du raid sur Dieppe ? En fin de compte, cela découle de l’expérience accumulée, car entre 1942 et 1944, il y a également eu des débarquements en Afrique du Nord et en Sicile. »

 » Nous leur devons tout  »

Aujourd’hui, le raid continue de faire l’objet de controverses. Mais les membres de l’Association Jubilee souhaitent avant tout rendre hommage à la mémoire de ceux qui ont péri ce jour-là. Depuis des mois, ils préparent les cérémonies du 75e anniversaire qui se tiendra le 19 août sur la plage de Dieppe en présence des derniers vétérans du raid.

Le président de l’Association Jubilaire, Pietrois, retraité, a perdu la notion du temps à l’approche des commémorations. Elle passe beaucoup de temps à accueillir les visiteurs au mémorial. Elle ne se lasse pas de raconter l’histoire du pamphlet, qui a été largué le 19 août 1942 par des avions alliés sur la ville.

« C’est un coup de main, pas une invasion. Le moment venu, nous vous le ferons savoir. C’est ainsi que nous agirons, côte à côte, pour notre victoire commune et pour votre liberté « , lit-elle dans le document, qui est affiché sur le mémorial.  » Ils ont promis de revenir – et le 1er septembre 1944, les Canadiens sont revenus pour libérer Dieppe « , a déclaré Pietrois. « Imaginez l’histoire d’amour que nous avons avec eux et le respect que nous leur devons. On leur doit tout. »

Cet article a été traduit de l’original en français.