Jésus aurait-il mieux fait en politique que dans l’Église ?

Dans les sociétés occidentales, on dit souvent que la religion et la politique ne se mélangent pas. L’Europe, en particulier, est consternée par un monde où spiritualité et pouvoir vont de pair et où les anciens font partie de la structure politique et religieuse. Donc, la question de savoir si Jésus était exclusivement un chef religieux ou un politicien est une question qui semblerait absurde pour les gens dans une grande partie du monde.

Mais jetez un coup d’œil au Jésus de Montréal de Denis Arcand – le meilleur des soi-disant films de Jésus – et vous comprendrez à quel point il est absurde de séparer le politicien de la figure religieuse. L’acteur canadien Daniel Coulombe (Lothaire Bluteau) incarne Jésus dans une pièce de la passion qui se déroule sur le terrain de l’oratoire Saint-Joseph de Montréal. L’histoire traditionnelle est racontée via des études bibliques de la fin du 20ème siècle – ce qui implique beaucoup de démythologisation de Jésus à côté d’une représentation astucieuse du contexte politique du premier siècle (lisez Dominic Crossan pour une version contemporaine). La pièce est un succès populaire mais provoque une énorme controverse parmi le clergé de l’église conduisant à l’annulation, une protestation de la distribution, une représentation illicite. La violence s’ensuit.

Le nœud du film est la transformation de Daniel en Jésus au fil du film. Alors qu’il étudie la vie de Jésus et reconstitue cette vie dans la pièce, les événements de la propre vie de Daniel montrent des parallèles surprenants avec des scènes clés de la vie de Jésus: le retournement des tables lors de l’audition télévisée, la rupture du pain pour le public, le procès au tribunal de Montréal, la tentation de l’avocat de Mireille (qui emmène Daniel/Jésus au sommet d’un gratte-ciel de Montréal et lui montre tout ce qu’il pouvait posséder). Tous ces éléments ont leur base dans les Écritures, car des épisodes forment la vie de Jésus.

L’identité de Daniel est fusionnée à celle de Jésus. Ce Jésus n’est pas le sac à dos sacré de la Passion du Christ, ni la vision béatifique de la sainteté réalisée par Robert Powell aux yeux bleus en Jésus de Nazareth. Jésus de Montréal est un Jésus maigre et passionné qui renverse l’injustice et défie sa société contemporaine, proclamant le jugement à venir. Mais en même temps, il modèle un Jésus sensible qui construit une petite communauté, bien qu’excentrique, autour de l’affection mutuelle, du partage de table et de l’amour. Jésus de Montréal / Daneil Coulombe fait réfléchir les gens sur ce qu’ils sont et tombe à ses pieds dans la dévotion.

Ciel et terre

Comme Jésus de Montréal, le Jésus des évangiles canoniques ne s’inscrit pas bien dans le modèle européen de l’humanité laïque. D’une part, il est beaucoup trop spirituel. Ses parents trouvent leur adolescent capricieux dans le Temple de tous les lieux s’engageant dans une discussion théologique (Luc 2:41-52) et il laisse régulièrement tout le monde derrière lui pour monter une montagne pour parler à son Père. Il guérit les gens et les appelle à une nouvelle vie et prophétise sur le jugement futur. Il parle de sa propre mort en termes de salut et de plénitude et rompt le pain avec les pauvres et les riches, les pécheurs et les saints.

Christ Pantocrator (le Tout-Puissant) représenté en mosaïque de style byzantin de la cathédrale de Cefalù, en Sicile. Poudre à canon Ma

Mais il est aussi furieusement politique. Il appelle ses adversaires une « couvée de vipères » (Matthieu 23:33), des « sépultures blanchies à la chaux » (Matthieu 23:37) et des « enfants du diable » (Jean 8:44). Il débarrasse le Temple des changeurs d’argent et des étals du marché. Il raconte des paraboles qui vont des avertissements aux riches et des appels à un salaire égal pour une journée de travail (Matthieu 20:1-16), à l’amour d’un père pour ses fils fidèles et capricieux dans la parabole du Fils prodigue. Il remet en question la base même de la culture palestinienne de l’époque – le rôle de la religion établie, la brutalité de l’occupation de la terre par Rome et la frilosité des pauvres par les riches et les puissants. Pour en savoir plus à ce sujet, lisez la lecture classique de l’Évangile de Marc par Ched Myers, Binding the Strong Man.

Mais surtout Jésus élève ceux qui ont été ignorés dans cette société: les enfants, les femmes, les pauvres. Les femmes sont traitées comme des égales, du jamais vu à l’époque – et, lorsqu’une foule traîne une jeune fille dans la cour du Temple l’accusant d’adultère et se prépare à la lapider, il défie à la fois ses accusateurs de leur propre péché et rend également à la femme sa dignité et refuse de la condamner (Jean 8). Il nourrit les pauvres, multipliant les aliments pour que chacun se rassasie et, sans surprise, les pauvres des campagnes se lèvent en voulant le couronner roi (Jean 6).

Il se tient sur une colline et proclame que les bienheureux sont les pauvres, ceux qui pleurent, les doux, ceux qui ont faim et soif de justice (Matthieu 5). C’est un monde à la tête renversée qui reflète le chant attribué dans la Bible à sa mère lorsqu’elle est tombée enceinte de lui: le Magnificat. C’est un hymne qui salue un dieu qui abaisse les orgueilleux et les puissants et élève les pauvres et les faibles (Luc 1:46-55).

Passion pour la politique

Qui était ce Jésus ? Un Jésus qui n’est ni un membre de la religion établie de l’époque ni un politicien de carrière. Un homme de son temps qui a embrassé la politique et la religion pour changer la société dans laquelle il vivait. En fin de compte, ses adversaires du Sanhédrin et du Prétoire romain ont décidé qu’il était trop politique et l’ont exécuté comme dissident (« lestes » en grec). Nous avons besoin de voir Jésus comme un Juif en Palestine occupée plutôt qu’un Européen sécularisé moderne.

Le défi pour la culture européenne au 21e siècle est peut–être de redécouvrir une approche holistique de la politique et de la foi – une conscience que la foi envisage la politique et que la politique est l’aboutissement d’une vision morale au cœur de ce que signifie être humain. Une approche qui ne cherche pas à divorcer du Jésus politique radical du Jésus religieux, mais qui permet aux deux identités de coexister au sein d’un seul individu.